on dit : le mal triomphe partout où les hommes de bonnes volontés ont échoué. Il suffirait de dire : le mal triomphe partout...

Assis au comptoir de son bar préféré, il rumine le passé. Il se plaint du monde qui ne tourne pas rond. Il regrette sa jeunesse, lorsque tout était possible et surtout dans la bonne humeur. Il se souvient du sentiment de sécurité qui régnait à Clifton. Il se souvient des vendredis soirs sur le terrain de football américain, à jouer mais également à siroter des bières entre amis. Il se souvient des rires et des enfants qui couraient dans la rue, insouciants et en paix. Il se souvient de ces bécanes qui brillaient au soleil et qui offraient une musique rêveuse pour certains, un bruit assourdissant pour d’autres. Il se souvient des jours heureux. Il réalise qu’il est là, seul, à siroter une bière plus trop fraîche. Et que la vie à Clifton a bien changé depuis quelques mois. Il a l’impression que l’enfer s’installe, non seulement dans sa ville d’enfance mais également dans sa vie. « Ed’, je te le dis, tout part en vrille par ici. Ça sent mauvais, très mauvais. » Le barman – ancêtre de Clifton tout comme lui – se contente d’essuyer les verres sans doute déjà propres en haussant les épaules, fataliste. Il a compris depuis un long moment que la ville était destinée à de grands changements, et pas des meilleurs. N’importe qui ayant vu débarqué les Black Bullets dans les parages auraient compris que la roue allait tourner et que les ennuis allaient débarquer. « Avant, on était bien. On était tranquille, et on ne demandait rien à personne. On n’avait de compte à rendre à personne. Il n’y avait pas besoin de flics dans les rues – que des PVs qu’on arrivait même à effacer. Des gens trop saouls pour rentrer chez eux en sécurité. La vie était simple, jusqu’à ce qu’ils débarquent, » cracha-t-il. Ed’ lança des regards alentours, s’assurant qu’il n’y aurait pas d’oreilles susceptibles. Il ne souhaitait pas voir débarquer les Black Bullets se plaindre de son bar et le forcer à fermer – pire, lui donner une leçon.

Car Clifton était une ville tranquille. Une petite ville insignifiante à l’échelle mondiale, encore plus pour les américains. Une ville où rien ne se passait. Une ville où régnait la paix, la joie et la routine. Les citoyens de Clifton se connaissaient tous – ou presque – et savaient s’entraider, se soutenir et prendre des décisions réfléchies pour continuer à co-habiter tous ensemble. Les cylindrées des Bloody Eagles – gang connu du coin depuis des années, fans de musiques fortes, de courses de motos à gogo et de soirées interminables à finir la tête on ne savait où – n’étaient pas synonyme de peur ou de crainte, mais bien de sentiment de sécurité ou d’agacement, selon les goûts. A présent, ils étaient confrontés à des choix qui les dépassaient. L’arrivée des Black Bullets, un gang principalement de latinos aux attitudes rebelles et tyranniques avait tout chamboulé. Leur trafic d’armes et de prostitution – fortement connu mais fortement difficile de mettre à jour – avait déjà pris trop d’importance et s’étendait à présent au-delà de la ville – les rendant plus puissants encore que les Bloody Eagles et les flics réunis.

Devaient-ils cependant laisser tomber ? Devaient-ils laisser leur ville sombrer dans les ténèbres et la débauche imposés par les Black Bullets ? Devaient-ils s’avouer vaincus et s’incliner ?