L’info n’avait pas sitôt gagné le Clifton Chronicles que Briséis avait sauté sur son manteau et son sac et s’était envolé du journal. Pour la première fois depuis qu’elle était arrivée à son poste, les bureaux étaient en effervescence. La jeune femme désespérait presque de cet institut de presse qui ne s’intéressait qu’à des affaires sans intérêt alors que la ville grouillait d’affaires croustillantes et d’histoires de gangs. Jusqu’ici, on l’avait plutôt dissuadée de se tourner vers les règlements de compte et ce qui entourait l’univers des bandes, mais elle n’avait pas décidé de devenir journaliste pour parler du nouveau magasin de chaussures qui ouvrait dans la ville. Elle voulait de la vraie info, de l’actu, des histoires qui fassent bouger la ville et qui l’informe de ce qu’il se passait vraiment ! Elle était déterminée à ramener un peu de pouvoir aux citoyens et convaincue du bienfondé de ses convictions.

Hélas, elle aurait préféré que cet engouement se déroule dans d’autres circonstances. Une enfant, à peine âgée de six ans avait disparu hier en fin d’après-midi. L’avis de recherche avait circulé toute la nuit et la télé ne parlait encore aujourd’hui que de cela. Briséis, bien que cela fasse partie de son métier, n’appréciait pas du tout ce qui était en train de se dérouler. Elle craignait ce qui pouvait arriver, d’autant plus que des enquêtes plus approfondies avaient révélées la forte présence de détraqués dans le quartier. Elle espérait que personne ne serait assez fou pour s’en prendre à une petite fille innocente. L’espoir renaissait toutefois depuis qu’elle avait appris que le caissier d’une supérette pensait avoir vu l’enfant. Aussitôt, elle s’était munie de son carnet, de son crayon et de sa petite caméra pour être au plus près de l’information.

Forcée toutefois de constater qu’elle n’était pas la première sur le coup et qu’une nuée de journalistes se trouvaient déjà sur place, se bousculant, se poussant. Presque un véritable chaos tandis que la police débarquait sur les lieux. A ce compte-là, il faudrait surtout se montrer malin. Et plutôt que de se joindre à la pugila générale, Briséis cacha sa carte de journaliste et décida de contourner l’entrée principale, impraticable pour l’instant. Elle fit le tour de l’établissement, trouvant finalement la porte des coulisses par laquelle les livraisons se faisaient le matin. Elle parvint à se glisser à l’intérieur de la supérette. Tout aussi discrètement, elle trouva un endroit où elle pourrait écouter la conversation entre les autorités et le fameux caissier sans se faire voir. Avec un peu de chance, sa maladresse légendaire ne lui jouerait pas des tours et personne ne la remarquerait tandis qu’elle serait aux premières loges pour glaner des informations toutes fraîches. D'ailleurs, un homme rentrait déjà dans le magasin, fendant la foule de journalistes à l’affût.

Le club prenait très à cœur cette disparition et pour cause, Clifton était sous leur protection et il n’était pas question que quelque chose d’aussi horrible puisse avoir lieu sous leur surveillance. Si Jake avait l’impression que les Bloody Eagles étaient sous anxiolytiques depuis des mois et semblaient perdre toute combattivité et tout sens commun, il espérait que cette horrible histoire ferait réagir les plus mous d’entre eux. Il n’attendit pas qu’on lui demande pour mener sa petite enquête et secouer les bonnes personnes pour obtenir les informations dont il avait besoin. Incognito, délaissant sa veste à écusson pour un manteau tout ce qu’il y a de plus normal, il fonça à la supérette après avoir reçu un appel du commissariat. A Clifton, si vous vouliez l’avantage, il fallait avoir les bonnes sources et graisser la patte des personnes bien placées. Il arriva en même temps que le shérif et constatant que Nate avait un mal fou à se frayer un chemin parmi la foule, il se mêla à ceux qui essayaient de lui faire de la place pour qu’il avance. Son regard finit par croiser son ancien frère d’armes mais ils n’échangèrent aucun mot et Jake prit ça pour une autorisation silencieuse à le suivre à l’intérieur. A son attitude et à sa manière de se tenir, on pouvait deviner que Jacob Wright était militaire ou un ancien militaire et personne ne viendrait questionner sa présence tant qu’on se limiterait à croire que c’était tout ce qu’il était. Sans doute un membre de la sécurité ou quelque chose de goût là. Cela lui offrait une belle marge de manœuvre. Le responsable de la supérette les embarqua dans la salle où se trouvaient les écrans de vidéosurveillance et à peine lança-t-il la bande que Jake en conclut que ce connard se foutait de leur gueule. On ne voyait rien de précis, la gamine pouvait être la bonne ou une autre de la ville. Il avait voulu attirer l’attention sur lui et sur sa boutique plus qu’aider. Jacob serra la mâchoire mais la ferma, il n’était pas en position de poser des questions mais il se promit de venir se rappeler à son bon souvenir prochainement.

La disparition de cette fillette la touchait tout particulièrement. Et si elle se retrouvait ainsi à errer entre les rayonnages de ce magasin pour se cacher de ceux qui pourraient penser qu’elle n’était qu’à la recherche d’un scoop. Certes, elle demeurait une journaliste convaincue des bienfaits de son activité, mais elle n’en était pas non plus une créature dénuée de la moindre considération à l’affût de la première ligne à écrire dans son journal sur les faits. Ses motivations, il semblait, étaient un peu plus louables que cet amas de caméras et de micros au-dehors. Avoir des informations précises et le plus rapidement possible, c’était aussi étoffer l’avis de recherche qu’elle écrirait dans le journal pour que les gens soient le plus à-même de chercher. Et également, parce qu’elle rapprochait assez son métier de celui de l’enquêteur. Il fallait un esprit qui savait analyser, trouver des idées, faire les connexions entre les différents éléments. C’était sûrement bien présomptueux et complètement naïf de sa part, mais elle s’imaginait qu’elle pourrait certainement apporter sa pierre à l’édifice.

Ainsi, elle prit garde de se dissimuler un peu mieux quand le flic débarqua dans le magasin, engageant tout de suite le dialogue avec le commerçant. Il était vrai, chaque seconde comptait. Briséis sursauta et manqua de faire s’écrouler une étagère de conserves en voyant apparaître le motard fort déplaisant qui l’avait amenée jusqu’à Clifton le jour où elle était tombée en panne. Que pouvait-il bien faire ici ? Toujours est-il qu’il se montra toujours aussi patibulaire. Mais voilà que le groupe décollait du comptoir pour partir en coulisses. En catimini, la journaliste s’empressa de les suivre, étonnée elle-même par sa propre discrétion. Sûrement cela n’allait-il pas vraiment durer ? Hélas, elle ne pouvait traverser la porte qui se ferma sur les hommes quand ils furent dans la salle de visionnage des caméras de surveillance. Avec un soupir d’agacement, ses épaules s’affaissèrent, jusqu’à ce qu’elle ne remarque qu’il y avait une petite fenêtre sur la porte, à peine plus grande que sa main. Se hissant prudemment sur la pointe des pieds, elle essaya d’observer à travers cette ouverture. Malheureusement, les écrans n’étaient pas du tout tournés dans sa direction. Elle ne pouvait que sonder les visages des hommes qui scrutaient avec attention les images, à l’affût d’une expression qui pourrait lui en apprendre davantage. En savaient-ils plus sur la jeune enfant ?