Cette histoire de disparition fait perdre la tête à bon nombre d'habitants. Elle suit l'actualité sur la petite télé du Diner entre deux services, priant pour que cette petite fille soit retrouvée. Mais les dernières nouvelles n'étaient pas franchement encourageantes. Pas de nouvelle en fait, pas de signe de vie, pas de preuve. Ca sentait mauvais, surtout dans ce genre de disparition où chaque heure passée diminue les chances de retrouver l'enfant en vie. C'est l'esprit tracassé qu'elle quitte son service. Le temps n'est pas aux rires, à peine un sourire échangé avec sa collègue alors qu'elle longe le trottoir, le regard rivé sur son smartphone à lire les dernières infos. Mais l'actualité est rattrapée par le quotidien. Devant elle, une foule de gens est amassée à proximité de l'entrée du terrain vague sur lequel sont entassés des caravanes. Ca crie, ça bouscule, tout ce qu'elle déteste. Elle s'apprête à passer son chemin, secouant la tête de gauche à droite quand elle aperçoit un type, casquette arborant son amour pour le parti conservateur vissé sur une probable calvitie avancée, balancé une pierre sur la vitre d'un mobil-home, qui vole en éclats. La colère lui monte au nez à vitesse grand V alors qu'elle l'agrippe par le col de sa chemise, loin d'être terrifiante du haut de son petit mètre soixante. "Vous êtes malade ou quoi ? Y a des gamins qui vivent ici ! Vous risquez de blesser quelqu'un !" L'homme la repousse violemment. "Vous l'entendez celle-là ? Ils ont des gamins en plus et personne va rien faire pour leur retirer leurs gosses à ces détraqués ?" "Non mais votre cerveau, il a fondu à force de bouffer du gras ?" Ca n'a pas l'air de lui plaire vu sa tête qui vire au rouge écarlate mais elle est sûre qu'elle réussirait à lui en coller une avant qu'il n'ait eu le temps de déplacer son corps mou jusqu'à elle.

Clifton est une ville calme en apparence mais au moindre dérapage, à la moindre contrariété, elle se transforme en véritable cocotte-minute. La disparition de cette gamine c’était le parfait exemple. Il n’en fallait pas plus pour rendre les gens du coin complètement taré et qu’ils crient vengeance. Depuis l’annonce de la disparition de la gamine, j’épluchais méticuleusement tous les dossiers sur lesquels je pouvais tomber et je ne mettais aucune piste de côté. C’était parfois dans les détails que l’on parvenait à résoudre une affaire. Avec la pression médiatique et le risque que le FBI vienne se mêler de cette affaire, j’en avais plus sur le dos que je ne le voulais bien. Mais si on laissait les fédéraux entrer à Clifton, ils n’en partiraient plus et ce ne serait bon pour absolument personne. Je voulais repasser chez moi pour prendre une douche et rassurer mon fils avant d’y retourner quand je tombai sur un rassemblement autour des caravanes et mobil homes du camp des rednecks. Je ne les portais pas dans mon cœur, pas plus que les citoyens de Clifton, mais la plupart d’entre eux n’étaient que des pauvres gens qui ne demandaient rien à personne et je savais qu’ils étaient les boucs émissaires favoris des décérébrés de Clifton. Je me saisis de ma radio pour prévenir les collègues. « Ici Lieutenant Santangel, il y a un attroupement à l’Est chez les rednecks, prévoyez des renforts. » « Bien reçu, Lieutenant Santangel. » Je m’arrêtai aux abords de l’attroupement, heureuse de porter mon uniforme alors que mon regard tomba sur ma cousine et un abruti qui semblait prêt à lever la main sur elle. Je m’interposai immédiatement, s’il osait la frapper, je ne répondrais plus de rien. Nous échangeâmes un regard plein d’animosité mais il finit par tourner les talons, personne n’avait envie de se mettre les flics du coin à dos. « Ça va, niña ? » Je lui caressai doucement la joue avant de reprendre mon rôle. « QUE TOUT LE MONDE SE CALME ! DISPERSEZ VOUS ET RENTREZ CHEZ VOUS ! LA POLICE S’OCCUPE DE TROUVER LES COUPABLES, CREER DU CHAOS SUPPLEMENTAIRE EN VILLE N’ARRANGERA RIEN ! » Si certains m’entendis et hochèrent la tête, prêts à déguerpir, ils finirent par changer d’avis quand un énième abruti lança : « Qu’ils rendent d’abord la petite, ces connards de pédophiles ! » « OUAIS ! » scanda la foule, ramassant tout ce qu’elle trouvait pour bombarder les mobil homes. Si j’aurais adoré, je ne pouvais malheureusement tous les abattre et seule face à une foule enragée, je ne pouvais rien.

Il rentrait chez lui après une journée de travail, et alors qu’il pensait pouvoir passer un petit moment de calme, loin du bruit c'est justement beaucoup de bruit ainsi que des attroupements au niveau du camp des rednecks qui l'interpellèrent. Il fronça un peu les sourcils étonné de voir un tel tohu bohu, mais cela ne sentait pas franchement bon.  D’autant plus qu’il semblait il y avoir des cris, des accusations et forcément cela ne pouvait que mal tourner ! Il envoya rapidement l’information à un de ses collègues qui était toujours de garde,  juste au cas où. Par ce qu’il y aurait forcément des blessés, si ce n’était pas pire ; Naveen s’approcha donc rapidement pour essayer de comprendre ce qui se passait et voir s’il ne pouvait pas aider ou au moins essayer d’apaiser les tensions.  Lorsqu’il comprit la cause, que c’était à cause de la gamine disparue et beaucoup devaient voir en ce camps les coupables parfaits. Il en avait des envies de meurtres, ce qu’il ne ferait bien sûr jamais, la violence ne résolvait généralement pas grand-chose, mais être assez con pour mettre toute la misère du monde sur des minorités, des gens différents et compagnie ça devenait fatiguant à la longue et il savait de quoi il parlait.

Il s’était approché et avait finalement pris la parole, essayant de répondre à l’abruti qui avait dit « ces connards de pédophiles »   « C’est sûr, c’est bien connu, les gens  vivant dans les beaux quartiers sont tous des âmes pures, il n’y a aucun pédophile, meurtrier, sociopathe, violeur ou autres. Il n’y a forcément que des gens vivant un peu différemment qui peuvent être l’auteur de cette disparition.» Il eut un léger rire amer avant de continuer « Foutez leur la paix, la police mène son enquête tout ce que vous allez faire là c’est les retarder dans leur boulot par ce qu’ils vont devoir gérer cette merde.» Vrai ou faux, il n’en savait foutrement rien, et si lui ne le savait pas, le gus lambda devait également l’ignorer.  Et il reprit pour finir « Si c’est l’un d’eux, il sera arrêté, si c’est l’un vous, il le sera aussi » Il risquait de se prendre un poing dans la gueule à ce rythme-là, mais s’il y en avait deux ou trois avec des neurones un peu plus connectés que les autres, avec un peu de chance ils l’aideraient à calmer ce troupeau d’ahuris. Bon d’accord des discours plus persuasifs ne devaient pas être bien difficile à faire mais au moins il aurait essayé, même s’il avait probablement échoué. Il jeta d’ailleurs un regard sur celle qui avait dit faire partie de la police sans ajouter un seul mot.